Designeuse Plasticienne
En 2021 et pendant deux années, j’ai concilié mon mode de vie et ma recherche en design. Vivre en camion à l’année était un rêve depuis très longtemps et c’est durant mon DNSEP Design en Transition que je l’ai activé. J’avais besoin d’une pratique de design qui soit immersive et ancrée sur le terrain, d’habiter les lieux où j’interroge des problématiques d’usages et ainsi de cohabiter au sein de besoins d’usage qui deviennent communs. Une manière de devenir habitante des projets en faisant partie des usager.ère.s. Le camion devient l’outil qui permet l’immersion et la rencontre avec un équilibre entre solitude et collectif puis qui, petit à petit, efface toutes les règles et méthodologies habituelles en design.
Durant cette recherche, j’ai cherché à questionner le mouvement à l’ère moderne & anthropocène : EN QUOI UNE MISE EN MOUVEMENT PEUT ETRE VECTEUR D’EMANCIPATION ? Tout d’abord en rapport aux chasseurs cueilleurs et au nomadisme, mis en parallèle avec notre société contemporaine sédentarisée : en serions-nous là sans s’être civilisé ? Puis en écho aux low-technologies et à la mise en mouvement du corps pour s’émanciper des machines reliées au réseau : est-ce que l’énergie musculaire de nos corps peut devenir une ressource productive d’énergie ?
En réalisant ce master en trois ans, la première année était dédiée aux temps de questionnements et de recherches théoriques, ainsi qu’aux économies nécessaires pour acheter et aménager le camion. C’est en août 2021 que l’achat eut lieu, et me permit de passer les deux années suivantes en immersion sur le terrain, dans des lieux collectifs et associatifs.
Dans cette démarche, je voulais partir à la rencontre de lieux collectifs et de leurs habitant.e.s, questionner le vivre ensemble, le co-faire, le partage. Comment faire société, faucher l’entre-soi, cultiver l’inclusion ? L’intention était également de ne pas attendre une demande ou l’expression d’un besoin d’usage auquel il faut répondre, mais aller faire du design dans des lieux qui n’auraient jamais fait appel à des designer.euse.s, ce qui implique de travailler dans des lieux qui n’intègrent pas, financièrement ou moralement, le rôle du design dans nos usages du monde.
Mettre en récit des modes de vie qui rendent l’humain moins dominant. Vivre le nomadisme qui permet de conscientiser ses dépendances et de développer sa résilience. Expérimenter et raconter ce qu’être designer.euse de terrain insoupçonnée qui s’annonce à la frontière entre l’artisanat et l’ethnologie improvisée : car dans la plupart des lieux côtoyés, il m’a fallu chuchoter le design, faire du design sans parler de design, qui est un domaine souvent perçu comme une pratique élitiste au service du consumérisme.
Je suis partie utopique en imaginant une recherche sur le design et les low-tech dans les collectifs. Mais finalement, je me suis retrouvée à recevoir bien plus qu’à apporter : l’ourlet s’est créé. Ma focale a donc été de valoriser l’anecdotique, œuvrer pour un récit collectif, donner forme et à voir. Et là où dès le début de mes recherches théoriques sur le nomadisme, j’ai été confrontée à l’idée que le nomade récolte sans avoir semé, qu’il est consommateur de son environnement et de son chemin, alors je tente de semer ce que j’ai récolté sur mon chemin.
Au travers de ce tournant, plusieurs journaux racontent cette recherche sur les routes. Chacun des numéros se focalise sur une zone précise côtoyée. Le premier fait des allers-retours furtifs EN TERRITOIRES URBAINS DE BRETAGNE. Le second déambule PAR-DELA LES SENTIERS FINISTERIENS tandis que le deuxième habite de manière intermittente l’ATELIER XYZ. Puis, le quatrième fait régulièrement escale en CORPS ET FERME D’UN TEMPS. Le suivant, lui, a souvent côtoyé ce TERRITOIRE BLANC DE ROCHES ET DE VENTS, et enfin, le dernier s’est initié à un tout autre format d’immersion dans une COMMUNAUTE EMMAUS.
Alain Findelin dit : « La fin ou le but du design est d’améliorer ou au moins de maintenir l’habitabilité du monde dans toutes ses dimensions. » Sur la route, le design s’intensifie tout en s’estompant. Car le design se vit et s’habite. Car sur les routes, le design m’est devenu un métier de vivre en habitant ce monde différemment. Le design, c’est dessiner pour un dessein en devenir, au regard de l’instabilité dans laquelle on évolue. Faire du design, c’est donc faire politique en tant qu’actes. Mais faire du design, ce devrait être pensé avec tout le monde et faire disparaître le designer. Ce dernier ne devrait être qu’un regard qui agit dans l’ombre. C’est ce que je tente de mettre en pratique durant mon itinérance.